Le secteur du BTP au Sénégal : Entre difficultés économiques et espoir de relance

Le secteur du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) au Sénégal traverse une période difficile en 2024, marquée par la hausse des prix des matériaux de construction et une contraction significative du chiffre d’affaires. Alors que le pays fait face à des défis économiques, les acteurs du secteur expriment de plus en plus leur inquiétude face à une situation qui menace non seulement les entreprises, mais aussi des milliers d’emplois.

Hausse des prix des matériaux de construction en octobre 2024

Les prix des matériaux de construction au Sénégal ont enregistré une légère hausse de 0,4% en octobre 2024 par rapport au mois précédent, selon les données récentes. Cette augmentation est surtout attribuée à l’augmentation des matériaux de base (+0,8%), notamment du fer à béton (+2,9%) et des graviers (+0,6%), bien que le ciment ordinaire ait vu une légère baisse de 0,1%. En revanche, en comparaison avec l’année précédente, les prix des matériaux se contractent de 2,2%, ce qui peut être interprété comme une tendance déflationniste dans un secteur en proie à des difficultés économiques.

Parmi les autres matériaux, les produits pour étanchéité connaissent une hausse de 1,3% en raison de l’augmentation du prix du feutre de bitume (+1,7%). Les matériaux pour travaux d’électricité augmentent également de 1,0%, portée par la hausse des prix des câbles VGV (+2,0%) et des tubes orange (+1,2%). Ces hausses, bien que modérées, exercent une pression sur les entreprises du secteur, déjà confrontées à des marges réduites.

Une contraction du chiffre d’affaires dans le secteur

Le secteur du BTP semble également souffrir d’une baisse importante de son chiffre d’affaires. Au troisième trimestre 2024, une chute de 12,5% par rapport à la même période de 2023 a été observée. Cette baisse est principalement attribuée au sous-secteur du génie civil (-21,1%) et à la construction de bâtiments (-11,1%), bien que les activités spécialisées de construction aient enregistré une hausse de 4,9%.

Cette situation est confirmée par les acteurs du terrain, comme M. Amadou Arona, directeur général de Solutech-Suarl, qui a déclaré dans un entretien accordé à Africapulse 221 : « C’est vrai que depuis quelque temps, il y a un semblant de calme. Le secteur souffre un peu, il y a moins de business, moins d’affaires. »

En cumul sur les trois premiers trimestres de l’année, le chiffre d’affaires global du secteur a toutefois progressé de 1,2%, soutenu par une hausse des activités spécialisées de construction. Néanmoins, cette croissance ne compense pas les pertes importantes du troisième trimestre, laissant présager des difficultés pour les entreprises dans les mois à venir.

Impact des décisions environnementales sur le secteur

Le secteur du BTP au Sénégal est sérieusement impacté par les décisions politiques visant à protéger l’environnement. La suspension des constructions sur le bord de l’océan à Dakar et dans la forêt des filaos à Guédiawaye, ordonnée en avril 2024, constitue un frein majeur pour l’industrie. Cette décision affecte des projets d’hôtels, de cliniques et de résidences privées, notamment ceux situés sur le domaine public maritime et dans des zones protégées.

Bien que cette suspension soit temporaire, elle engendre des incertitudes pour les investisseurs et les entreprises du secteur, en ralentissant le développement de nouveaux projets et en perturbant ceux déjà en cours. Le processus d’audit, qui vise à vérifier la légalité des autorisations, ajoute une couche de complexité administrative, exacerbant les défis auxquels le secteur du BTP est déjà confronté.

Le secteur en péril : appel à la relance et à l’accompagnement

Les acteurs du secteur, représentés par différentes organisations professionnelles, expriment une vive inquiétude face à la crise qui touche le secteur. Le Syndicat national du Bâtiment et des Travaux publics (SNBTP), par la voix de son président Abdel Kader Ndiaye, déplore que le secteur soit aujourd’hui « en péril » et que de nombreux emplois soient menacés. Selon lui, le secteur représente près de 200 000 emplois directs, et jusqu’à 600 000 si l’on inclut les contrats de sous-traitance et les travailleurs non déclarés.

De son côté, le Syndicat professionnel des entrepreneurs de bâtiments et travaux publics du Sénégal (SPEBTP), avec son président Oumar Ndir, appelle à une réforme en profondeur du secteur. Des entreprises du BTP ont déjà dû licencier des centaines d’employés en raison de l’arrêt de leurs chantiers.

Les obstacles à la croissance des entreprises sénégalaises

Les difficultés du secteur ne se limitent pas aux seules fluctuations des prix des matériaux et à la baisse des chiffres d’affaires. Le SNBTP et le SPEBTP, bien que parfois divergents dans leurs approches, s’accordent sur plusieurs obstacles majeurs qui freinent la compétitivité des entreprises locales.

Le SNBTP met particulièrement l’accent sur la difficulté d’accès à la commande publique et la prolifération d’entreprises non qualifiées. De son côté, le SPEBTP, sous la direction Oumar Ndir, insiste sur l’absence de mécanismes de qualification des entreprises et la nécessité d’une véritable politique de « préférence nationale » en matière de commande publique. Les deux organisations soulignent que les PME sénégalaises peinent à rivaliser avec les entreprises étrangères, qui captent une part importante des marchés publics, malgré la volonté de l’État de soutenir la préférence nationale.

Le secteur souffre également d’un cadre institutionnel désorganisé, marqué par la diversité des corps de métiers et des organisations professionnelles concurrentes, ce qui complique la gestion des projets et nuit à la compétitivité des entreprises locales. À cela s’ajoutent des problèmes de financement, avec des difficultés d’accès au crédit et des créances non recouvrées.

Nouvelles perspectives : la DPG du Premier ministre

Lors de la Déclaration de Politique Générale (DPG) du Premier ministre Ousmane Sonko le vendredi 28 décembre 2024, le secteur du BTP a été mis en avant comme une priorité stratégique. Plusieurs initiatives phares ont été annoncées :

  • Renforcement de l’industrie locale des matériaux de construction : Le gouvernement prévoit de transformer les ressources minérales locales (comme l’argile, le basalte et le calcaire) en matériaux de construction et de développer un hub métallurgique régional au Sénégal.
  • Promotion des PME dans les grands chantiers : Une stratégie nationale vise à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises (PME) et des petites industries aux marchés publics, en particulier pour la réalisation des grands chantiers.
  • Habitat social et urbanisme : Le secteur privé sera encouragé à investir dans l’habitat social, en complément des programmes publics de construction et d’aménagement foncier. Le gouvernement s’engage également à améliorer la gouvernance dans l’attribution des titres de propriété et à moderniser les outils de gestion urbaine, comme le système TeleDAC.

Une relance possible grâce à l’accompagnement de l’État

Le secteur du BTP au Sénégal traverse une phase de turbulences, mais il reste porteur de potentiel. Pour permettre une relance durable, un accompagnement de l’État, la mise en place d’une préférence nationale et des réformes structurelles sont indispensables. Les entreprises sénégalaises doivent être mieux préparées à faire face à la concurrence internationale tout en bénéficiant de l’appui de l’État dans leurs efforts pour stimuler l’emploi et contribuer à la croissance économique du pays. Les nouvelles orientations annoncées dans la DPG du Premier ministre offrent des perspectives encourageantes pour une relance du secteur, qui pourrait ainsi jouer pleinement son rôle de moteur de l’économie sénégalaise dans les années à venir.

pulaagu

Journaliste et chargée de communication

2 comments on “Le secteur du BTP au Sénégal : Entre difficultés économiques et espoir de relance

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