Vers une rupture sans précédent entre la Cedeao et l’Alliance des États du Sahel.

Ce dimanche 15 décembre, les présidents des États membres de l’institution régionale, réunis à Abuja, officialiseront la décision du retrait prochain du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Malgré les efforts diplomatiques déployés ces derniers mois par les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), notamment la désignation du président sénégalais comme médiateur spécial, soutenue par le président togolais, l’Alliance des États du Sahel (AES) – composée du Mali, du Burkina Faso et du Niger – est restée ferme dans sa position. Les trois pays, dirigés par des juntes militaires, avaient annoncé en janvier leur intention de quitter l’organisation, qu’ils accusent d’être manipulée par la France, l’ex-puissance coloniale. Le sommet prévu ce dimanche 15 décembre à Abuja (Nigéria) devra acter officiellement ces départs et définir les modalités de ce retrait historique.

Une rupture consommée En septembre 2023, les juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont pris la décision de créer un nouvel organe de coopération axé sur la défense et la sécurité, notamment dans la lutte contre le djihadisme : l’Alliance des États du Sahel. Ces trois pays sahéliens partagent également une vision souverainiste, ce qui les a amenés à s’unir dans un contexte de profondes divisions politiques, aggravées par les sanctions économiques et financières sévères imposées par la Cedeao après les coups d’État militaires survenus au cours des trois dernières années. Selon l’ONG Crisis Group, les militaires se sont emparés du pouvoir à six reprises en Afrique de l’Ouest : au Mali en 2020 et 2021, en Guinée en 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022, et enfin au Niger en 2023. Les sanctions, en particulier contre le Niger, ont provoqué des pénuries de médicaments et de denrées alimentaires, entraînant un ralentissement économique et un fort ressentiment des populations envers la Cedeao.

À l’inverse, le discours souverainiste, parfois populiste, des juntes a trouvé un écho favorable. La menace d’une intervention armée de la Cedeao au Niger en juillet 2023 a renforcé la défiance des militaires au pouvoir, qui ont dénoncé la position « sous influence étrangère » de l’organisation, l’accusant de devenir une « menace pour ses États et ses populations ». En arrière-plan, c’est la France, ancienne puissance coloniale, qui est visée : les ambassadeurs sont expulsés et les troupes militaires renvoyées. De nouvelles coopérations sont alors signées, notamment avec la Russie et la Turquie. Bien que la plupart des sanctions aient été levées depuis février 2024 et que la Cedeao ait reculé sur l’option d’une intervention armée au Niger, optant désormais pour un dialogue pour éviter tout affrontement, la confiance entre l’AES et la Cedeao demeure fragilisée.

La crise est profonde, et les efforts de la Cedeao pour accélérer les transitions démocratiques ont, en réalité, contribué à exacerber l’instabilité dans la région.
Les enjeux majeurs de ce divorce
Les enjeux de la rupture entre l’AES et la Cedeao sont considérables, tant sur le plan économique que social. L’introduction d’un passeport commun dès les années 2000 a facilité la libre circulation des citoyens au sein des quinze pays membres de la Cedeao. Cependant, avec le retrait de l’organisation, des obstacles importants à la circulation des personnes pourraient émerger, affectant en particulier les diasporas malienne, burkinabé et nigérienne installées dans d’autres pays membres. L’introduction de taxes douanières, de visas ou d’autres restrictions pourrait fortement perturber l’économie, étant donné l’importance des échanges commerciaux entre ces États. Les pays de l’AES sont particulièrement dépendants de la Cedeao pour leurs importations et exportations, et pour cette dernière, ces échanges représentent une source de revenus essentielle.

Avec la perte de 70 millions d’habitants, le PIB de la Cedeao pourrait connaître une baisse, tandis qu’une hausse des prix des denrées alimentaires risque de fragiliser les populations sahéliennes. Cependant, bien que les conditions actuelles se détériorent, cela ne signifie pas nécessairement la fin des relations économiques. Des accords de coopération pourraient être signés à l’avenir, car ces relations demeurent cruciales pour les deux parties. Par ailleurs, l’AES reste membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui regroupe huit pays de la Cedeao, tous liés par le franc CFA. Si aucune annonce de sortie n’a été faite, la création d’une monnaie commune dans l’AES pourrait marquer un tournant.

D’un point de vue sécuritaire, la situation est préoccupante en raison de la grave crise du Sahel et de la lutte contre le terrorisme. L’AES critique le rôle secondaire joué par la Cedeao dans ce domaine, en laissant des acteurs extérieurs prendre en charge le financement et le déploiement de forces armées. Le désengagement de la Cedeao, notamment alors que d’autres pays voisins sont également menacés, est vivement critiqué. Estimant que l’organisation régionale ne répond pas à ses besoins face au djihadisme, l’AES a annoncé, en novembre 2024, la création d’une force militaire conjointe. Cette fragmentation et l’absence d’unité dans une région déjà en crise, où 2023 a été l’année la plus meurtrière selon Crisis Group, sont inquiétantes et risquent d’accentuer l’instabilité.

La période qui commencera en janvier 2025 pourrait redéfinir un nouvel équilibre régional. Malgré les critiques de ses décisions et ses faiblesses, la Cedeao reste considérée comme « l’organisation la plus réussie » sur le continent, selon Crisis Group. Depuis sa création en 1975, elle a mis en place des outils essentiels pour favoriser l’intégration régionale, sa mission originelle. Cependant, ces avancées risquent d’être compromises, tout comme la stabilité régionale. Avec une Cedeao fragilisée et divisée, le projet d’unité africaine en prend un coup.

À ces tensions s’ajoute un dilemme pour l’organisation : quelle voie emprunter pour éviter une rupture durable avec l’AES, tout en minimisant les conséquences sur les populations ? Consciente des enjeux, la Cedeao sait que l’heure est critique. Le sommet d’Abuja devra en partie répondre à ce défi, bien que l’organisation ait jusqu’ici davantage concentré ses efforts sur les négociations avec l’AES que sur les conditions de son retrait et ses répercussions.

Le président de la Commission de la Cedeao, Omar Touray, doit présenter les premières conclusions sur les travaux relatifs à ce retrait. Parmi les options envisagées pour atténuer les impacts de la rupture, certains suggèrent la signature d’accords bilatéraux ou l’octroi d’un statut spécial à l’AES, à l’image de la Mauritanie qui s’était retirée de la Cedeao en 2000 avant de se rapprocher à nouveau de l’organisation ces dernières années.

PULAAGU

pulaagu

Journaliste et chargée de communication

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